Meeting you, at last | Lizbeth

La relation qu'il voulait avoir avec Lizbeth était claire : une cobaye qu'il utiliserait. Et même si pour la manipuler, il pourrait utiliser ce genre de petite carotte séductrice, ce n'était certainement pas maintenant qu'il devait commencer à faire cela. Certainement pas alors qu'il négociait la libération du frère et qu'il allait l'avoir sous la main pour les mois à venir, au minimum. Mais si il dérapait maintenant, elle ne lui ferait peut-être plus jamais confiance et il ne pourrait rien avoir d'elle. Et pire encore, si elle n'appréciait pas ce contact, elle pourrait tout raconter à son frère. Et là...Le problème serait tout autre, à la fois bien plus complexe et bien plus simple : il allait se faire démolir la gueule et se retrouver éparpillé façon puzzle aux quatre coins de la ville.

La voix de Liz le ramena hors de ses pensées et il se retourna vers elle. Elle était dos à lui, en face de l'évier de la cuisine. Elle semblait si petite, si vulnérable comme ça...Si il avait eu un coeur, il aurait presque pu se sentir coupable de l'utiliser et de vouloir faire durer son calvaire au lieu de l'aider à se soustraire de l'emprise de son frère. Heureusement pour lui, il n'avait pas de coeur et ne pouvait donc pas ressentir cette culpabilité qui étouffait nombre de personnes au travers le monde. Elle n'avait vu aucun mal à ce geste, au contraire même, il semblait au psychiatre qu'elle avait apprécié. Mais ce fut la dernière phrase qui le surprit le plus.

Christopher resta un instant figé, avant de faire les quelques pas qui le séparaient de la femme, pour venir à côté d'elle, sans la toucher cela dit. “ Lizbeth...Si vous ne voulez pas que votre frère revienne, vous n'avez qu'un mot à dire...Mais dans tous les cas...Ce n'était pas convenable de faire cela. Vous...J'aurais l'impression de profiter de la situation et je ne veux pas que ce soit le cas, “ avoua-t-il dans un souffle, braquant son regard énigmatique sur elle.

"Non !"

Sa réaction ne se fit pas attendre, elle ne pouvait pas se permettre que son frère reste au prison. Il avait beau ne pas être le grand frère parfait, il n’en restait pas moins que sur cette terre il était la seule personne en qui elle pouvait avoir réellement confiance, aveuglément confiance. Depuis le black-out, Lizbeth avait bien du mal à se sentir en sécurité. Elle s’était faite renvoyé, elle avait des voisins qui ralaient de sa présence et de l’effet de celle-ci sur leur capacité. Combien de temps avait-elle encore avant que quelqu’un ne se décide à l’éliminer parce qu’elle représentait la frustration et la faiblesse ? Non, elle n’était définitivement pas confiante et elle avait besoin de l’unique personne qui avait toujours tout mit en oeuvre pour la protéger des autres. Elle s’était tourné vers Christopher en lui répondant, les yeux ancrés dans les siens. Elle avait peur, elle avait toujours vécu dans la peur. La peur des autres, la peur de son frère, lorsque quelqu’un passait toute sa vie à vous protéger vous finissiez forcément par croire que vous ne pouvez pas faire autrement, que vous êtes trop faible pour défendre.

"Pardon..."

S’excusa-t-elle pourtant, bien consciente que sa réaction avait été un peu forte. Elle se sentait un peu perdue à présent, que pouvait-elle dire pour se justifier ? Car elle avait bel et bien l’impression de devoir se justifier de son acte, de cette possible invitation voilé.

"Je ne crois pas que vous profitez de la situation"

Finit-elle par dire, reprenant ses propos pour ne pas avoir à expliquer ce qui la poussait à être aussi attachée à un homme comme Théodore. Les liens du sang pouvaient-ils à eux seul tout expliquer ? Tout justifier ?
Détournant les yeux de Christopher une nouvelle fois, elle reposa son regard dans l’évier. Il avait lu ses lettres, certaines de ses confessions, certaine de ses interrogations mais maintenant qu’elle lui faisait face, c’était un tout autre exercice d’exprimer tout ça à haute voix.

"Si ça avait été le cas, vous n’auriez pas arrêter votre geste...Et nous"

Elle s’arrêta dans sa phrase, que se serait-il réellement passé si il ne s’était pas détourner ?

La violence et la soudaineté de sa réponse désarmèrent totalement Christopher. Il s'attendait à beaucoup de choses, pensait en général à beaucoup d'options différentes, mais là...Non il n'avait pas du tout prévu qu'elle pourrait se mettre à crier sur quelqu'un de la sorte. Elle avait l'air...en colère, apeurée et vraiment encore plus faible et esseulée qu'elle n'en avait eu l'air jusque là. Il n'avait pas reculé, au contraire même, il était resté parfaitement immobile en regardant le visage de Lizbeth, juste avant qu'elle se détourne de lui en s'excusant.

Le psychiatre ne bougea toujours pas, n'esquissant pas le moindre geste vers elle. Pour une fois, il n'était pas certain de ce qu'il fallait faire, pas certain de comment elle prendrait les choses si il essayait de s'approcher d'elle ou de la réconforter. Il voyait clairement son désarroi, sa douleur face à ce frère qu'elle aimait autant qu'elle détestait. Elle ne pouvait se résoudre à l'abandonner, c'était si étrange de voir cela en vrai plutôt que de le lire...Sa phrase laissée en suspens lui donnait à penser qu'elle pouvait vouloir cela, qu'elle avait envie que quelqu'un d'autre se rapproche d'elle.

“ Miss Sloan, je ferais mieux d'y aller. Je dois arranger la libération de votre frère avec mes supérieurs, je vous rappellerai pour vous dire l'heure de la visite demain, ” fit-il d'un ton neutre, le genre de ton qui voulait remettre la distance professionnelle en place après ce petit moment où ils s'étaient étrangement rapprochés. Christopher choisissait de rompre leur lien fragile pour une bonne et simple raison : lui donner envie de le rétablir au plus vite. “ Je vous souhaite une bonne journée et je vous dis à très vite, miss Sloan, ” ajouta-t-il avec un petit mouvement de la tête qui ressemblait fort à un aurevoir, avant de commencer à s'éloigner vers l'entrée de l'appartement.

La froideur du psychiatre ne la laissa pas de marbre même si elle ne bougea pas, elle se senti soudainement blessée et abandonnée. Elle n’aimait pas ressentir cette soudaine distance qui n’était pas s’en rappeler celle qu’elle vivait de la part de ses propres voisins, de son ancien patron, de ses anciens collègues de travail. Elle resta complètement paralyser cependant, loin d’aimer l’idée de courir après les gens. Acquiesçant simplement, elle l’accompagna jusqu’à la porte assez naturellement, ouvrit celle-ci et le regarda en cherchant à avoir à nouveau un contact visuel avec ce dernier mais rien.

Alors qu’il passait le pas de sa porte et retournait dans le couloir, sa gorge se noua une nouvelle fois et hésita à nouveau à le retenir.

"Monsieur Raine"

Appela-t-elle sans pouvoir réellement se contrôler, ses yeux azur sur lui, elle eut un petit sourire timide, trop discret et à peine visible alors que ses yeux laissaient entrevoir une certaine détresse à l’idée de se retrouver à nouveau complètement seule. Elle savait qu’elle ne pouvait pas lui demander de rester alors la seule chose qu’elle dit fut :

"Merci pour tout"

La mort dans l’âme, elle referma la porte derrière elle et s’adossa contre celle-ci, reposant une main contre sa poitrine. Son coeur paniquait sans raison apparente si ce n’est peut-être qu’il se rendait compte que très bientôt, elle laisserait le loup revenir dans la bergerie.