Where you been? Where you at? What's on your mind?

Ils avaient encore pas mal de boulots pour la mise en place du décor et du parcours. Et c’était étrange d’être stressée par ça, alors que beaucoup de choses perturbait le bon déroulé de leurs vies. Depuis le Black Out, son infiltration avait pris un détour inédit, dérangeant. Et pour cette fois, elle savait que son rôle impliquerait de passer une majeure partie de sa soirée d’halloween avec son employeur. Le coffre de sa voiture blindée des affaires qu’on lui avait demandé de récupérer dans un entrepôt de stockage dans le Bayou appartenant à la famille Lioncourt – dans lequel elle aurait aimé trouvé un ou deux cadavres pour se tirer les couilles des ronces - Max poussa un long soupir. Etre en infiltration impliquait se coltiner le sale boulot dont elle se passait bien… Mais c’était le passage obligé, surtout pour tenir son rôle.

« Désolée du retard ! » Fit-elle par la fenêtre ouverte de sa voiture en trouvant la silhouette haute de Tybalt à quelques mètres d’elle. Max se gara rapidement en affichant un sourire de circonstances, et sortit de son véhicule pour rejoindre son employeur : « Les travaux sur l’axe principal m’ont obligé à faire un détour… C’est… Toujours pas réglé depuis le… Le Black Out. » Minauda-t-elle pour s’excuser.

De concert, la brune ouvrit sa voiture et dévoila une bonne vingtaine de boites et de sacs qui emplissaient la totalité de l’espace. Elle avait été incapable de faire le tri dans ce qu’elle devait prendre sur place ou non, du coup, elle ne s’était pas gênée pour tout mettre dans son véhicule ! Au moins, elle était sûre ainsi de ne rien oublier. Et puis… ça lui avait pris du temps de tout organiser, l’ayant contrainte par la même de plier les sièges arrière de son véhicule pour faire le plus de place possible. Elle en avait même sur le fauteuil passager ! Heureusement qu’elle s’y était rendue seule.

« Vous comptez faire la même décoration que les années passer, ou on innove pour cette fois ? » Demanda-t-elle sur le ton de la discussion à son employeur, pour ne pas avoir l’air gênée. Après tout, ça faisait bien près de neuf mois qu’ils travaillaient ensemble. Certes, ils n’étaient pas proches – c’était pourtant l’un de ses objectifs – mais au moins parvenaient-ils à garder un certain respect dans leurs échanges. Tybalt pouvait être intimidant pour la Max qu’elle devait jouer. « Combien de temps ça va nous prendre d’installer tout ça ? » S’inquiéta-t-elle.

Oh, elle ne rechignerait pas à faire des heures supplémentaires ! Elle l’avait déjà annoncé à Tybalt lors de son embauche : tant qu’elle était payée c’était entendu. Elle le disait en filagramme suffisamment qu’elle avait besoin de cet argent pour mettre son neveu à l’abri ! Neveu qui devait passer ici à la fin de l’école, et venir en bus jusqu’à la demeure des Lioncourt avant de rentrer à la maison. Max avait suffisamment rôdé Joey au rôle qu’il devait lui aussi jouer en présence de ces personnes, il saurait quoi faire en temps voulu.

« Tout dépend si tu comptes rejouer la même scène que l’an dernier j’imagine. » Souffla-t-elle en attrapant un carton et un sac. Glissant le second dans le creux de son bras, elle se débrouilla pour extraire le paquet à la force de ses épaules. Talonnant Tybalt jusqu’à l’entrée de la maison, elle ajouta : « Mon neveu a insisté pour venir voir le tour, le soir d’Halloween. Je ne sais pas si c’est trop de son âge alors… » Elle afficha un sourire en déposant son bien à terre, avant de se redresser et de le fixer droit dans les yeux : « J’espère que tu ne l’empêcheras pas de dormir le soir. »

Un rire lui échappa. Elle glissa une mèche qui échappait à son chignon flou derrière son oreille, en imaginant très bien Joey, bien trop fier pour admettre se retrouver terrifier par ce qui allait se dérouler ici. Max ne pouvait cacher de son côté qu’elle trépignait un peu de voir ça. Certes, elle ferait partie du décor, mais jouerait très probablement plus les touristes le jour J. Il fallait dire que les frères Lioncourt lui avaient suffisamment vanté le rythme de la soirée d’Halloween, et le fait qu’ils étaient toujours blindés de monde à ce moment-là de l’année :

« Et pourquoi pas un scénario à la True Detective ? » Suggéra-t-elle un peu sur le pouce, sans vraiment trop y croire. Elle n’était pas persuadée que le chef-d’œuvre d’HBO ait vraiment des racines avec la Nouvelle Orléans. Et devant le regard interrogateur de Tybalt, elle se figea : « Ne me dis pas que tu n’as pas vu cette série ! Elle est magnifique. »

Dire qu’elle l’avait vu sur une de ses soirées de service, à Boston. Elle en avait un peu honte, c’était pour ça qu’elle ne se vantait pas du moment où elle l’avait visionné. Peut-être aussi n’y avait-il pas autant d’activités à Boston qu’ici, maintenant qu’elle y vivait. Jackson avait tôt fait de lui faire comprendre que la Louisiane ne manquait jamais de vie. Trop pour se planter devant la télé.

« Bon pour résumé… C’est l’histoire d’une secte qui s’établie dans le Bayou pour faire ses petites affaires. Des affaires à base de trafique d’êtres humains, prostitution, pédophilie et rituels légèrement sataniques. » Elle haussa les épaules. Elle n’était pas sûre de croire à tous ces trucs vaudoo de son côté, même si la famille Lioncourt semblait être particulièrement attaché à ces traditions. « Il parait que c’est inspiré de plusieurs histoires du coin… »

Le Bayou recelait de mystère. Sans doute que la présence de ce marais gigantesque y était pour beaucoup. Reparvenu devant le coffre, elle déchargea à nouveau et fourra dans les bras de Tybalt un carton. Elle l’invita à ne pas se presser, fourrant un second paquet au-dessus, et un troisième, au point que la charge le dépassait en hauteur. Chose difficile dans les faits, vu comment ce dernier était grand :

« Enfin, là-dessus, tu t’y connais sans doute plus que moi. » Fit-elle avec un sourire, en se penchant légèrement sur le côté pour essayer de capter le regard de l’homme derrière sa tour de décoration.

« Je vois... Je t'appelerais pour que tu viennes le réconforter s'il me fait des terreurs nocturnes par ta faute alors ! » Blagua-t-elle - à moitié cependant. Elle doutait qu'ils en viendraient à ces extrémités, mais Joey n'avait qu'à peine onze ans, bientôt douze comme il se plaisait à lui rappeler. Et l'imagination bien trop fertile à son goût. « Je ne suis pas accro à la télé non plus... » Mentit-elle brièvement, avec une moue qui trahissait totalement l'ironie de la chose : « Enfin, pas trop, je crois. »

Elle eut le même petit rire amusé qu'avant, essayant de planter une relation de confiance entre les deux. Ils se voyaient plutôt régulièrement l'un comme l'autre - minimum une fois par jours durant le service - ça nouait forcément des liens. Mais la relation restait extrêmement professionnelle, et Max avait besoin de franchir ce palier pour se rapprocher de lui.

« Si tu n'es pas de temps en temps devant la télé, à quoi tu occupes tes soirées ? » Questionna-t-elle avec innocence. « Ne me dis pas que tu es à ce point bourru de travail. »

Le Bayou avait plus ou moins son opinion au sujet de Tybalt. Une réputation de fils à maman, même si c'était finalement le cas pour les deux fils de la famille Lioncourt. C'était, en général, la fratrie entière, et surtout la matriarche, qui faisait parler. Elle avait une assise certaine dans la région, en plus d'être à l'évidence une vieille famille. Un principe que Max connaissait moins à Boston, sans doute parce que la ville n'était pas autant ancrée dans ses coutumes vaudou...

« Bon, alors... C'est l'histoire de deux détectives qui se retrouvent impliqués dans une histoire sordide. A la base, ils trouvent le cadavre d'une femme, dans une position étrange, qui a l'air d'avoir subi un rite satanique. Il y a plusieurs marques sur son corps, elle porte des bois de cerfs, ses yeux sont bandés, et tout autour d'elle il y a des petits pièges à oiseaux en bois... Et donc là, ils décident de... » La brune se figea tout d'un coup. Et le temps avec elle. La chute de l'homme à ses côtés la stressa légèrement, si bien que son habilité planta l'instant dans lequel elle se sentit comme piéger. Relâchant ses propres paquets, elle sentit son ventre se serrer : « Merde, Tybalt ! »

Pour elle, son mouvement lui parut incroyablement lent. Pour lui, c'était à croire qu'elle s'était presque téléportée et accroupie à côté de lui. Le temps reprit son cours le clignement d'après, alors qu'elle s'inquiétait pour lui :

« Tu vas bien ?! Tu ne t'es pas blessé ? » Demanda-t-elle sans lésiner sur son interprétation de l'employée soucieuse. Il y avait du vrai dans son attitude : quand bien même Tybalt était un pion sur l'échiquier de cette partie qu'on menait contre sa mère, elle n'avait pas envie qu'on lui fasse du mal. « Laisse ça, on aura même pas besoin de ces lanternes... » Fit-elle avant qu'il ne s'attarde sur le carton qu'il avait écrasé.

C'était de sa faute. Elle l'aida à se relever, epoussetant avec attention ses vêtements en le regardant sous toutes les coutures. La moindre égratignure la ferait se morfondre en excuses.

« Si tu rentres tout abimé, ta mère et ton frère vont me jeter un sort... » Blagua-t-elle maladroitement, en affichant une mine désolée. « Je suis désolée, je vais finir de décharger la voiture si ça te va... »

« Pardon... » Ajouta-t-elle avec une certaine candeur en le regardant en coin.

Elle en faisait très probablement trop, elle s'en doutait. De quoi le mettre lui, mal à l'aise. Ou de quoi lui faire comprendre qu'elle pouvait être une bonne amie à qui parler, également. C'était à double tranchant, et Max se jura d'user de ce genre de charme avec parcimonie. Avisant l'homme d'un regard sérieux, elle eut un petit rire amusé mais aussi troublée par les propos de son supérieur :

« Tu crois ? » Est-ce qu'il y avait vraiment pire ? Quand on enlevait le Black Out de l'équation, et qu'on n'imaginait pas quelle genre d'habillité horrible elle avait pu hériter de son côté ! Elle plissa les yeux en essayant de s'amuser de la chose, même si au fond d'elle, elle se disait qu'il valait mieux prendre les faits plus sérieusement : « Ta mère n'est tout de même pas si terrible que ça, si ? »

Sa réputation la précédait. Et à l'évidence, Max ne l'avait pas suffisamment approché pour pouvoir s'en faire une idée. Elle aurait pu lui parler de sa propre mère pour le mettre en confiance : après tout, dans cette vie comme dans l'autre, les deux femmes avaient désormais une relation houleuse. Fut un temps où ça n'était pas le cas. Où elles s'aimaient, à leurs manières... Et de toute façon, l'amour n'était qu'une question de personne. Tous n'avaient pas la même conception.

Elle assista tout simplement Tybalt dans son rangement rapide, ramenant d'autres paquets devant l'entrée. A sa pique sur ses soirées apparemment remplis, Max roula des yeux avant de pouffer :

« Oh oui, je vois : Tu fais tout ce qu'une personne jeune et dynamique ferait en fait... » Voilà qu'elle passait pour une vieille personne qui traînait devant sa télé ! Alors qu'elle était, en fait, plus jeune que lui. « Je connais pas encore assez de monde, je crois... » Fit-elle tout simplement.

Son emménagement n'était un secret pour personne. Un an était déjà passé, et à part sa voisine du dessous et Jackson a l'occasion, Max n'était pas persuadée d'avoir vraiment des amis. Pouvait-elle faire confiance en tous les membres de son équipe ? Probablement pas. Après tout, savait-elle vraiment qui était corrompu et jusqu'à quel point ? Si même le capitaine de la police était dans de beaux draps, elle n'imaginait pas des pions moins influant...

« Bon, terminons ça. On a des cages à oiseaux en branches à faire et de la décoration à installer je crois... » Fit-elle avec entrain ! Puisque Tybalt allait bien. Ils finirent par vider la voiture complètement, et par mettre le tout dans l'entrée. La charge allait être conséquente... « Comment tu imagines ton parcours du coup ? Et jusqu'à quel point tu veux l'animer ? » Elle planta son regard sombre sur lui : « En fait, ça te fera sûrement un nouveau texte à apprendre rapidement... Tu te sens motivé ? »

« Donc ça veut dire que les rumeurs sur ses fameux pouvoirs vaudous sont vrais ? » fit elle avec un rire amusé. L'idée de se retrouver envoûté ou transformé en chat ne l'enthousiasmait pas aussi se jura-t-elle de ne pas ramener ces mots aux oreilles de ladite sorcière. « Quelques personnes ont gardé leurs distances avec moi quand j'ai annoncé travailler ici. »

Elle haussa les épaules, un peu par dépit. Max laissait entendre que la chose pouvait la toucher d'une certaine manière alors que ça n'était absolument pas le cas. Elle était profondément solitaire, s'amusait très bien seule. Mais il lui fallait attirer les bons sentiments de Tybalt et l'occasion était trop parfaite pour la louper.

« Ton jour préféré ? » Pourquoi ça ne l'étonnait pas vraiment ? Ça semblait cohérent avec ce qu'il disait vivre avec sa mère. Elle avait eu le temps d'observer le fonctionnement de cette famille depuis un mois. Certes, elle avait ses secrets, mais il y avait un double langage lisible pour qui se donnait la peine de lire. « Pourquoi ? Parce que tu peux être toi-même ou déguisé en tout le monde à part toi ? » La question aurait pu paraître intime – elle l'était – si Maxine n'y avait pas mis une intonation enjouée en triant aussi des babioles sans intérêts. « Ou alors c'est pour les bonbons… » se moqua la brune avec un sourire.

Et elle eut toute l'occasion de vérifier l'enthousiasme de Tybalt a ce sujet. Déjà l'homme bouillonnait d'idées et d'imagination, et ce fut avec l'air pétillant qu'elle admira la scène :

« Excellente idée ! On en accrochera dans les arbres et on créera une ambiance lumineuse terrifiante ! » elle aussi avait des images en tête, saisissante, des atmosphères éprouvantes pour les âmes sensibles… Après tout, n'avait-elle pas vu montre de scènes de crime ? « Si on veut exploiter l'idée, il faudra disposer quelques signes ésotériques et religieux. »

Elle défit un sac et en tira une énorme tablette ouija de mauvaise facture. La déposant à côté, elle se tourna brièvement vers l'homme quand celui-ci lui proposa de la sortir avant de se renfrogner légèrement. Dans l'esprit de la jeune femme, ce fut comme remporter le bingo. Mais elle cacha sa petite victoire en affichant un air surpris :

« Wah tu fais bien de le préciser, j'étais sur le point d'appeler la Police ! » ironisa la brune. Se redressant, elle glissa ses mains dans ses poches pour donner l'impression d'hésiter avec sa proposition. « Quel genre d'endroit ? » questionna Max. « Ça m'intéresse, je n’ai même pas encore eu l'occasion de jouer la touriste ici depuis qu'on est arrivés… »

Elle fit mine de rien, comme si elle était prestement en position de faiblesse. L'élève face à celui qui pourrait l’instruire, lui faire découvrir des choses. Généralement une position que beaucoup d'hommes adoraient adopter avec des femmes plus jeunes et donc influençables. Maxine n'était pas de ce genre là mais il lui fallait le laisser croire, pour peu que Tybalt y soit sensible. Son regard brillant qu'elle fixa sur lui ferait le reste…

« Je vois. » Elle le scruta longtemps alors qu’il lui tournait le dos, distrait par autre chose probablement, et bien plus disposé à passer à autre chose. C’était une confidence qu’elle n’attendait pas vraiment, mais qui était désormais comme une évidence. S’il ne sentit pas son regard sur lui, elle ne le quitta que pour retourner à ses occupations. La remarque n’était cependant pas tomber dans l’oreille d’une sourde : « Alors faisons de cet Halloween le meilleur qu’il soit… »

Elle lui devait bien ça. Pour tous les sales coups qu’elle lui ferait à l’avenir, jusqu’à l’épée de Damoclès qu’elle plaçait consciemment au-dessus de sa tête. Ça lui faisait de la peine pour l’enfant qu’elle entrevoyait dans son attitude, mais ce dernier avait grandi depuis le temps, et eu l’occasion de voir la noirceur de l’humanité. C’était ça qu’elle devait mettre hors circuit, et sur ça qu’elle comptait se focaliser. Jusqu’au sourire crispé qu’elle lui offrit :

« On peut bien essayer de trouver un bouc empaillé… » Suggéra-t-elle avant d’afficher un regard entendu : « Je ferais le tour des antiquaires demain, si ça te convient… » L’idée d’en égorger un pour l’occasion ne l’enchantait pas vraiment.

Elle dégaina son téléphone pour organiser le reste de sa semaine jusqu’au soir d’Halloween. Ils allaient avoir plus de travail que prévu avec toutes ces idées qui fusaient. Il faudrait se faire une idée globale de la décoration et de ce dont ils auraient besoin le jour J. Un bouc empaillé, c’était déjà une sacrée affaire à dénicher ! Il faudrait également des coiffes étranges, des mannequins, des œuvres dérangeantes, quelques symboles ésotériques évidents… Pour le coup, Max se promit également de revoir la saison une de True Detective, juste pour avoir autre chose à se mettre sous la dent !

« Oh donc, maintenant… C’est un verre, que tu me proposes ? » Fit-elle en relevant le nez de son écran pour croiser le regard de son vis-à-vis. De là, elle prit un air clairement mutin, jouant de le mettre un peu plus mal à l’aise. Serait-elle capable de le faire rougir, avec ça ? « Je suis partante pour ce bar. » Lui annonça-t-elle dans la foulée, captant son sourire idiot qui lui en arracha un petit en coin au passage : « Et pour le tour de la ville. »

C’était un premier pas évident pour progresser avec lui. Ou vers lui, plutôt. Ça faisait au moins deux rendez-vous pris, mise à part s’il comptait lui montrer la Louisiane de nuit. Il y avait très probablement des quartiers vivants à visiter lorsque le soleil était couché. Max avait entendu parler de beaucoup de choses à ce sujet. Mais, il fallait préciser quelque chose :

« De préférence un soir où je peux confier Joey a quelqu’un, ou s’il passe la nuit chez un ami. » Il ne fallait pas l’oublier. Elle regarda d’ailleurs l’heure de son téléphone pour voir s’il n’allait pas tarder, et il lui restait du temps pour ça : « Tu suggères un costume particulier pour le jour J ? » Fit-elle en changeant totalement de sujet. « Je peux ramener ma tenue de sorcière mais peut-être faudrait-il innover là-dessus aussi pour sortir du lot… »

« Tu as raison, ça lui plairait beaucoup. » Fit-elle, presque agréablement surprise. Tybalt n’avait pas l’air du genre très à l’aise avec les gosses, même si Joey n’était plus vraiment un enfant, elle n’était pas sûre qu’ils s’entendent très bien.

Jusqu’ici, son neveu n’avait pas vraiment cherché à connaître ses employeurs. Pas par désintérêt, mais parce qu’il ne voulait pas mettre le nez dans un guêpier trop gros pour lui. Et puis, il y avait sans doute toute la réputation de la famille Lioncourt qui l’impressionnait un peu. Le fait d’être chez des gens pratiquant le vaudou, avec une histoire aussi chargée, dans une demeure qui avait une personnalité trop forte pour lui. Un côté entier de la Nouvelle Orléans qu’il découvrait encore, et dont il n’était pas autant habitué.

« Il est plus mature qu’il en a l’air, alors tu n’auras pas à trop te restreindre sur ce que tu voudras nous montrer. » Expliqua-t-elle à son vis-à-vis : « Il faut juste éviter les cimetières. » Précisa-t-elle enfin.

Sans rien ajouter de plus – qu’il s’agisse d’une peur d’adolescente ou plus simplement d’un chagrin lié à un souvenir – Max maintint tout juste le mystère sur ses propos. Elle savait que la Nouvelle Orléans était plutôt portée sur la mort, comme un héritage chargé. Le contraste était d’autant plus saisissant quand on pouvait admirer la vie qu’il y avait autour. Entre le Bayou et tout le reste, à l’évidence… C’était une ambivalence encore perturbante pour eux, qui tenaient à rester éloignée d’une tombe pouvant leur rappeler la mort de Judith.

« Au moins, ça sera cohérent… » Maman Brigitte donc ? Elle étudierait avec attention la mythologie autour du personnage pour accompagner comme il se devait son Baron Samedi. « Je te fais confiance pour ça. » Ajouta-t-elle plus simplement.

Elle eut un sourire amusé devant l’entrain qui n’avait pas désempli de l’homme, avant de se remettre au travail. Une fois le tri fait, ils purent commencer l’installation des éléments. Avec les toilettes d’araignées, des éclairages, les éléments de décoration qu’ils comptaient garder et ceux qu’ils comptaient construire eux-mêmes… L’installation et le parcours n’allaient pas être de tout repos. Combien de temps est-ce que ça leur prit de faire les cabanes à oiseaux avec les moyens du bord et les petits bonhommes en bois ? Encore plus de devoir les installer ?

« Je vais avoir besoin de ton aide… » Souffla Max en se hissant sur la pointe des pieds, cherchant à accrocher un des éléments du décor sans y parvenir. « Ou d’un escabeau, je ne sais pas encore… » Soupira-t-elle.

Il lui manquait bien dix centimètres pour atteindre son but. Une paire de talons aurait pu faire l’affaire, mais n’aurait pas été confortable malheureusement. Confiant son bien à Tybalt, elle le scruta un bref instant. Le temps d’estimer si avoir de l’audace était de bon ton :

« Je peux te poser une question, à laquelle tu n’es pas obligé de répondre ? » Demanda-t-elle soudainement, alors que rien n’augurait qu’elle s’y aventurerait. « Si tes frères sont partis, et si ta mère est si… oppressante que ça, pourquoi tu n’en as pas fait autant ? » Questionna-t-elle franchement. « Désolée si… C’est indiscret. J’essaie de… comprendre comment un seul jour de l’année peut vraiment te retenir ici. »

Elle se doutait de la réaction qu’aurait Tybalt à sa question. Mais le fait qu’il la regarde droit dans les yeux pouvait dire tellement de choses sur lui. L’espace d’une seconde, elle se demanda s’il était en train de lui mentir. Tout du moins, de ne pas lui dire toute la vérité. Parce que sonder l’autre à sa manière permettait de vérifier que le mensonge prenait. Sauf que le caractère abstrait de ce qu’elle demandait ne nécessitait pas forcément qu’il remonte dans ses souvenirs, et avait-il des raisons d’éviter son regard ?

« C’était peut-être une question trop sérieuse. » Commenta-t-elle devant l’air impénétrable de son vis-à-vis, qui lui parlait tant pourtant.

Elle ne répondit pas non plus à son interrogation, puisqu’elle n’invitait aucune réponse à vrai dire. La Nouvelle Orléans était sa maison, là où Max doutait qu’elle ne serait jamais la sienne. Comme Boston ne l’avait pas été non plus en son temps, et où les grandes villes à venir ne le serait pas d’avantage si elle venait à déménager à nouveau. Probablement parce qu’elle n’était pas aussi attachée à ses racines que pouvaient l’être les Lioncourt en général. Elle comprit alors que réussir à en retirer les arbres morts seraient plus compliquer que prévu. Elle esquissa un sourire sans ajouter aucun mot, avant qu’un craquement derrière eux n’attire son attention :

« Qu’est-ce que vous faites ? » Demanda Joey en s’approchant toujours.

Son sac d’école sur les épaules, et les cheveux en bataille comme s’il sortait du lit. Encore un peu, et elle était capable d’imaginer la marque du bouquin sur sa joue après sa sieste de l’après-midi. Fronçant un sourcil, elle avisa son neveu d’un regard entendu, loin d’être réprobateur. Ils avaient tous fait les bancs de l’école, et s’étaient tous embêtés de la même manière que lui.

« De la décoration. » Fit-elle avec un sourire. « Tu veux venir ? »

Le garçon hocha la tête et se joignit à eux. Sa curiosité le porta directement jusqu’aux cartons qu’ils trimbalaient, qu’il déballa un peu sans gêne pour regarder à l’intérieur. En tirant l’une des cages à oiseaux, il s’enthousiasma comme un enfant, les yeux pleins d’étoiles et une certaine appréhension ensuite :

« C’est les mêmes que dans True Detective ! » Lâcha-t-il brusquement en levant les yeux vers Tybalt et Maxine avec fascination.
« Tu as regardé la série ? » Fit-elle en se retournant vers lui, les yeux plissés. C’était bien la seule chose qui l’interpelait.
« Euh… Non ? » Mentit-il sans être le moins du monde convaincant.

Sur le coup, Maxine se contenta d’un regard en coin. Celui qui disait « on en parlera en rentrant ». ça ne serait pas une réprimande, mais il allait entendre parler du fait de braver les interdictions qu’elle énonçait. Pas de chance pour Joey : il était contraint de grandir avec une policière à la tête aussi dure que le bois. Autant dire que ça n’allait pas toujours être une partie de plaisir :

« Et tu ne dis pas bonjour ? » Ajouta-t-elle en désignant Tybalt du regard, comme pour rappeler à l’ordre le jeune adolescent. Ce dernier lui fit un petit signe gêné de la main, suivi d’un « bonjour » à peine audible. « Plus tôt on a fini, plus tôt on peut rentrer. Tu nous aides ? »
« Ok, il faut faire quoi ? » Demanda le garçon en confiant à sa tante ce qu’il avait entre les mains.

« Attend, quoi ? » Max se figea, perdant son sourire presque dans la seconde lorsqu'elle entendit la remarque de Tybalt a Joey. D'autant plus quand son neveu n'y vit aucune objection : « Il doit grimper ou ? » Répéta la brune d'une voix blanche en passant de l'un a l'autre.

Elle eut tout juste le temps de réaliser, la bouche légèrement entrouverte que Joey avait déjà les deux jambes sur une branche après que Tybalt l'ait aidé a s'y mettre.

« T'inquiète je m'en occupe ! » Assura le garçon en se hissant par lui-même comme si ça n'était rien pour lui.

Max se sentait se liquéfier de l'intérieur. Elle avait même pali d'un seul coup en s'approchant de Tybalt. Dans sa tête, tous les scénarios possibles et imaginables de ce qui pourrait arriver a Joey… Elle se rendait alors compte de toute l'inquiétude qu'avait pu ressentir Judith de son vivant pour son enfant. Dans sa tête, il y eut toutes les conversations et toutes les fois ou elle avait dit a sa sœur « ne t'en fais pas, il grandit, il a besoin de découvrir par lui-même ! »… quelle idiote !

« Je suis transparente ? » Demanda Max plus pour elle-même vu que personne ne l'écoutait actuellement. « Sois prudent, ne donne pas une bonne raison a ta grand-mère de me retirer ta garde… » Supplia-t-elle dans un marmonnement entendu son neveu.

Mais son regard sombre quitta le gamin dans son arbre pour se porter sur son employeur. Elle se moquait bien de récolter un blâme ou qu'il le prenne mal. Elle le foudroya des yeux et se laissa froidement emporter :

« S'il lui arrive un truc, je te jure que… » Max prit une profonde inspiration, détournant vivement les yeux pour éviter de s’agacer pour rien. Elle les braqua sur Joey dans l'espoir que ça change quelque chose. « C'est toi qui seras accroché a la place du bouc. » Promit-elle.

Joey, lui, progressait sans mal. Tybalt lui tendit une des cages et il demanda innocemment :

« La, ça vous va ? Je peux monter plus haut ! » Max secoua la tête. Ça lui semblait déjà tellement haut ! Il n'était pas question qu'il grimpe encore ! Attachant la décoration, il se redressa en attendant la confirmation des autres. Le temps d'en mettre d'autres et il annonça : « Je redescends ! »

Ce fut a cet instant que Max se rendit compte qu'elle n'avait quasiment pas respiré depuis que Joey était dans l'arbre. Le gamin redescendait… c'était déjà ça. Mais tant qu'il n'aurait pas poser le pied a terre, elle se refusait a reprendre son souffle…

« JOEY ! »

Elle aussi avait vu son pied riper de la branche. Et ensuite ce fut tout juste une sensation de vide immense sous elle. Le temps sembla se figer pour rattraper sa course encore plus vite. Chaque seconde dura une éternité avant de filer comme la lumière. Son cœur se serra violemment et quand elle cilla des paupières, ce fut pour voir que heureusement Tybalt avait rattrapé le garçon. Blanche, inquiète, elle gagna les côtés de son employeur pour remettre son neveu sur ses jambes.

Joey, lui, était un peu sous le choc, troublé, essoufflé. Son regard allait et venait entre Tybalt et l’arbre qui n'avait pas tenu ses promesses.

« Tu n'as rien ?! Ça va ? » S'inquiéta la brune en le regardant sous toutes les coutures. A la moindre égratignure, elle exploserait très clairement.
« Euh oui… ça va… » Fit-il un peu hagard en essayant de tout bien comprendre.

Max se sentit respirer a nouveau. Soulagée. Ça ne fut cependant que de courtes durées vu la réflexion de Tybalt et son trait d'esprit. La brune se métamorphosa en le fixant. Un masque froid sur le visage et une colère palpable dans les yeux :

« Oh pardon, tu trouves ça drôle peut-être ? » Demanda-t-elle sérieusement en le fixant. Il avait plutôt intérêt a ne pas en rire, parce qu'elle était a deux doigts de se montrer physiquement violente. « Quelle bonne rigolade, un gamin a failli se briser la nuque sous nos yeux, c'est super marrant ça...  Montons un spectacle tous ensemble comme ça, la prochaine fois, on le loupera pas. »

Voilà a quel point elle le trouvait idiot actuellement. Plus aucun sourire, plus aucune séance de charmes. Il n'y avait qu'une posture sèche et un air dédaigneux.

« Max, c'est bon, je… » elle le coupa net sans quitter Tybalt du regard :
« Non, ça n'est pas bon. C'était irresponsable de notre part, tu aurais pu te faire très mal. » Fit-elle.

Était ce juste envers l'homme qu'elle s'en prenne a lui ? Probablement pas. Objectivement, il n'aurait pas pu le prévoir et au moins avait il tenu promesse en disant qu'il ne lui arriverait rien. Mais Max avait eu peur et elle avait besoin d'évacuer. Alors Joey n’eut plus l'audace de le défendre. Il savait ce qui l'attendrait s'il ouvrait encore la bouche :

« Je veux pas vous entendre, l'un comme l'autre. » Avertit-elle simplement avant de s'avancer d'un pas conquérant et menaçant vers Tybalt. Son index sur le torse, elle reprit : « Ne t'avise plus jamais de mettre Joey en danger. Tu veux jouer l'idiot et croire que y'a aucune conséquence a rien ? Bien ! Joue tout seul ! »

Elle secoua la tête. Faire la morale a un gosse de trente quatre ans ? Elle-même n'y croyait pas. Elle souffla, consciente que si elle ne mettait pas de la distance vite avec lui, elle se montrerait bien plus injuste envers lui :

« Débrouille-toi pour le reste, je prends ma journée. » Fit-elle. Et sa déclaration ne souffrait d'aucun refus.